15 March 2025

You know what? I’m happy.

Très tôt ce matin, en passant, mon oreille gauche a subrepticement capté une phrase sortie à la fois de tout contexte et de la radio : « Êtes-vous heureux ? »

Qu’est-ce que c’est que cette question à la con ? Ça n’est pas comme si, déjà, les deux tiers des philosophes de l’Histoire (et peut-être même ceux d’avant ça, mais on en est réduit aux conjectures en ce qui les concerne) ne s’étaient pas posé la question sans parvenir à apporter ne serait-ce qu’un début de commencement de réponse.

Car qu’est-ce qu’être heureux, je vous le demande ?
Avoir un toit au-dessus de la tête, une assiette pleine, un verre pour étancher sa soif et un foyer pour chauffer ses os ?
Ou avoir une carrière remplie ras la gueule de réussites sociales et de reconnaissance d’autrui ?
Ou disposer d’une prise spéciale dans sa toute nouvelle Jaguar pour recharger son iPhone XXVIII édition limitée ?
Ou avoir une personne compatissante, voire aimante (mais qu’est-ce que l’amour ?), toujours présente à vos côtés (et si elle est menottée, ça compte aussi ? après tout, c’est de VOTRE bonheur qu’il s’agit, pas du sien !) et qui bave en ronflant sur votre épaule ?

Et avez-vous seulement des motifs d’être heureux ?
Car à l’heure où la fascisation de la société, jusqu’à présent rampante, se met à avoir les pattes qui lui poussent au point de vous courir après, à l’heure où l’eau des glaciers qui fondent ne suffirait pas à éteindre les flammes des incendies qui embrasent le monde, à l’heure où des millions de personnes sont en train, à l’heure même où j’écris ces lignes, de mourir, au sens propre, de faim, de soif, de pauvreté ou de maladie, tandis que vous vous demandez comment faire garder durant vos deux semaines de vacances Roméo, votre chat obèse qui vous coûte chaque mois l’équivalent d’une année de subsistance pour deux familles de Pakistanais, et à l’heure enfin où la guerre, cette bonne vieille guerre dont on avait presque oublié l’existence et qui ne prenait plus corps sous nos yeux ébaubis que dans le petit écran relatant des conflits éloignés dans des contrées sauvages, la guerre donc revient finalement nous titiller les naseaux de ses vapeurs de poudre brûlée, être heureux n’est-il pas un tantinet le symptôme d’une simplicité d’esprit, comme disait l’autre ?

Mais entre nous, être stupide rend-il vraiment heureux ? j’aimerais en être sûr (ça ne serait pas la première fois que le chevelu de Palestine serait pris en flagrant délit de raconter des couenneries).

Alors, entre nous et si je puis me permettre, un conseil : si à la question « Êtes-vous heureux ? », vous avez tendance à répondre « Bah oui… », évitez de vous demander pourquoi.

Pour ma part, je vais arrêter d’écouter la radio.

(illustration : Droopy, personnage de dessins animés créé en 1943 par Tex Avery)