Assiste-t-on à un malthusianisme d’état ?
La coïncidence du pic pétrolier et du réchauffement climatique met à mal les belles théories qui voulaient, il y a encore quelques années, qu’on serait à même de nourrir, loger et soigner les 11 milliards d’individus qui devraient grouiller sur cette planète à la fin du siècle.
Dès lors, puisqu’il est à peu près évident (il y a encore quelques techno-illuminés qui s’imaginent que la technologie va tout arranger, mais ça n’est quand même plus la norme) qu’un effondrement sociétal va survenir à plus ou moins court terme et dans des conditions qui dépendent de nous et de notre capacité à accepter des changements plus ou moins drastiques dans notre mode de vie et de consommation.
Mais on voit aussi par ailleurs que des forces, puissantes et réactionnaires, sont à l’œuvre pour faire en sorte que rien ne change… ou du moins que rien ne change POUR EUX !
On a pas mal glosé dans divers médias, mais de façon assez anecdotique, sur ces milliardaires qui se feraient construire dans des coins reculés d’Europe du Nord des bunkers gigantesques et dégueulant d’une merveilleuse technologie, leur permettant de survivre des décennies durant dans le luxe et l’opulence tandis que le reste de la planète sombrerait dans le chaos et la violence.
L’idée peut paraître séduisante sur le papier, mais outre que le réchauffement global n’épargne aucune région et que les besoins en énergie de pareilles installations seraient énormes, elle semble plus relever du fantasme qu’autre chose.
Par contre, il existe un faisceau d’indices concordants et qui va en se renforçant qui me fait me poser la question suivante : et si le bunker des super-riches en question n’était autre que la planète elle-même ?
Car si la croissance, notamment emmenée par celle de la démographie, est insoutenable du point de vue des ressources et des effets du changement climatique, tout particulièrement alors qu’une part de plus en plus importante de la population souhaite elle aussi – et légitimement – bénéficier du confort d’une existence qui ne connaît ni la faim, ni le froid, ni la maladie, mais aussi du luxe de pouvoir circuler de par le (pas si) vaste monde selon son bon vouloir, bénéficier des derniers jouets à la mode et se perdre dans les loisirs les plus ébouriffants, il ne reste alors que deux perspectives envisageables : ou les conditions de vie diminuent, ce qui permet à plus de gens d’exister, ou les conditions de vie demeurent ce qu’elles sont et il faut dans ce cas moins de gens qui en bénéficient.
Et c’est là que les collapsologues se sont complètement plantés, eux qui imaginaient un effondrement total de notre “civilisation” d’où émergerait une nouvelle société ayant appris la leçon et mettrait la sobriété et la solidarité à la tête de ses préoccupations afin de la rendre soutenable dans le temps et l’environnement.
TOUT FAUX ! proût.
Alors certes, un génocide général résoudrait pas mal de soucis, mais il faudrait cependant qu’un hurluberlu appuie inconsidérément sur le gros bouton rouge ou brise une fiole marquée Biohazard, et ça ne serait pas sans conséquences néfastes y compris pour lui et son niveau de vie… ou alors, tout faire à la main ? ce serait épuisant et, là encore, particulièrement énergivore… des milliards de cadavres à gérer… non, même si ce n’est pas impossible, c’est peu probable.
Mais imaginez plutôt un génocide doux, une tuerie de masse qui prendrait son temps…
C’est ce vers quoi semblent plutôt converger les actuelles tendances politiques, et c’est à l’opposé complet de la belle utopie des gentils collapsologues (laquelle, comme toutes les utopies, est appelée à ne jamais se réaliser) : si, par défaut de soins, d’éducation, de logement, de justice et d’alimentation de qualité, on abaisse suffisamment et progressivement le niveau de population tout en amplifiant les écarts sociaux, on permet la mise en place d’une nouvelle aristocratie qui s’octroie l’intégralité des ressources et des bénéfices technologiques, tandis qu’une réserve tout juste suffisante de main d’œuvre corvéable à merci est élevée (oui, élevée, comme des bêtes de somme) dans des conditions de vie misérables pour effectuer, sous l’œil sévère (mais juste) de policiers armés ayant tout pouvoir de vie et de mort, les tâches les plus ingrates et les moins techniques (le reste étant dévolu aux ordinateurs et autres robots). C’est-y pas beau, ça, Madame ?
Imaginez ce que serait un mashup des films Soleil Vert, Zardoz et Rollerball (celui de 1975, évidemment !) : on aurait là une sacrée dystopie, n’est-ce pas ? Une dystopie, oui, mais pas pour tout le monde ! Car pour le petit groupe des VIP qui seraient à la tête de ces espaces, confits dans le luxe, assistés par une technologie à eux seuls dévolue et servis par une armée de flics autoritaires et d’esclaves soumis car affamés, ça serait une élévation au rang de demi-dieux tout-puissants… un Olympe de super-riches, chacun régnant sans partage sur son oasis de “civilisation” tandis que le reste du monde retourne à la nature elle-même redevenue sauvage… tous les problèmes sont résolus et le monde est sauvé, happy ending ! non ?
Sincèrement, lorsque je vois les orientations prises par les gouvernements des grandes nations occidentales, dites libérales et démocratiques, je me demande vraiment si ce n’est pas l’objectif affiché, à peine travesti d’une hypocrisie diaphane.
(photo d’illustration : Sean Connery dans « Zardoz », film de 1974 réalisé par John Boorman)