15 March 2025

Intolérance zéro

Il n’est de pire censeur, de pire inquisiteur, de pire taliban, que celui qui se croit investi de la vérité absolue, que celle-ci soit divine, politique, sociale, scientifique ou je ne sais quoi d’autre, quand ça n’est pas tout cela à la fois.
En vous mettant dans cette position, vous quittez le champ du débat et de la saine critique partagée pour entrer dans celui de la croyance radicale et fermée.
Et vous préférerez vous aliéner un ami, voire un allié potentiel, que d’accepter de lui qu’il sorte tant soit peu de la doxa que vous suivez ou à laquelle vous vous astreignez.
Ainsi, tel n’est pas assez rigoriste dans sa vénération du dieu, tel autre n’est pas assez végan, tel autre encore pas assez LGBT friendly, tel autre enfin pas assez anti-capitaliste, ou ouvert aux autres cultures ou amoureux de la nature, etc.

Et c’est ainsi que, à chaque instant, des centaines de milliers de personnes, pourtant bien braves par ailleurs, pourtant ouvertes aux questions de société et aux avis divergents, sont vouées aux gémonies par les franges les plus radicales, les plus intolérantes, les plus sectaires des militants qui œuvrent pour LA vérité, leur vérité en fait.
Car oui, la politique (au sens le plus large) aujourd’hui se vit (devrait se vivre, selon eux) comme totalement exclusive, et donc de façon sectaire.

Dès lors, il est bien compréhensible que ceux qui n’auront pas été vilipendés, injuriés et chassés car ne partageant pas à 150 % la bonne parole, partent d’eux-mêmes vers d’autres cieux.
Et ce faisant, en agissant avec force, non seulement vous vous affaiblissez vous-même, car vous réduisez vos idées à une bulle fermée, hermétique au monde, qui se contracte, se rétracte, durcit certes, mais devient bientôt inaudible et insignifiante, stérile et vaine, mais de plus vous montrez au monde la faiblesse de vos convictions qui ne peuvent supporter le moindre écart ou la moindre critique, qui ne peuvent se frotter à celles de l’autre.
Qui plus est, en rejetant ainsi cet autre qui n’est pas assez ceci et trop cela, vous le poussez dans les bras velus et bruns de ceux qui ne rechignent pas à accepter n’importe qui et qui ont des réponses – fallacieuses, évidemment, mais des réponses tout de même – à tout.

C’est en cela que la quête du bien est différente de celle de la pureté : la quête du bien accepte l’autre même s’il n’est pas tout-à-fait d’accord, même s’il pense que nous nous trompons, même s’il croit devoir combattre nos idées.
La quête de la pureté dans les idées, est un totalitarisme destructeur : une idée n’est jamais aussi pure, une idée n’est jamais aussi parfaite, une idée n’est jamais aussi absolue que lorsqu’elle s’érige sur le tas des cadavres de ceux qui n’y adhéraient pas suffisamment. La pureté est auto-dévoratrice !
La vérité absolue n’existe pas.
Ce que vous pensiez mordicus hier sera désavoué demain.
Ce qui faisait l’essence même de votre personnalité, de votre être, de votre individualité, s’avérera trompeur, perfide et nocif, pour vous, pour les autres, pour le monde.
Alors cessez de croire !
Soyez qui vous êtes, simplement, et vivez, tout aussi simplement, pour vous et pas contre les autres.

Soyez dans l’échange : forgez vos idées à l’aulne de l’expérience de la vie et vivez les choses selon les idées que vous vous serez forgées, en les partageant et en acceptant celles des autres, ce qui ne signifie pas pour autant que vous devez nécessairement y adhérer.
Et surtout laissez vivre les autres, quand bien même leurs idées et leurs idéaux vous déplaisent, vous heurtent, vous insupportent : au pire, classez l’individu qui vous aura choqué dans la catégorie “pignoufs” et passez votre chemin. Ça n’est certainement pas en l’affrontant, voire en lui cassant la gueule que vous le ferez changer d’idée, bien au contraire !
Ce n’est que lorsque vous ferez vous-même face à l’intolérance d’autrui et à sa violence et à son injustice et à son arbitraire et que vous jugerez qu’elle vous met véritablement en danger, que vous pourrez le devenir à votre tour pour vous protéger, dans le cadre d’une légitime-défense des idées, car entraînant celle des corps.
Une idée n’est jamais forte par la violence qu’elle engendre, mais par l’union qu’elle crée autour d’elle.
Ne devenez pas le prisonnier de vos idées, aussi bienveillantes puissent-elles paraître.